Par Chérif Abdedaïm, le 14 juillet 2016
EDITO : « Chinafrique » : Alternative salutaire ou relation piégée ? L’irrésistible percée chinoise en Afrique suscite de vives controverses au sein de la communauté internationale. Levier à une future émancipation politique et économique du continent ou frein à son développement, voire facteur d’instabilité? Une approche prenant en compte la diversité des points de vue et les multiples dimensions de la relation sino-africaine permet de mieux en mesurer l’importance, les enjeux et les implications.
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La peur constitue depuis quelques années le paradigme dominant à travers lequel la montée en puissance de la Chine dans le monde est analysée dans divers domaines. Cette notion de peur apparaît comme une catégorie dotée d’une capacité d’ubiquité explicative. Elle postule une sorte de méfiance universelle à l’égard de la Chine. De cet impérialisme cognitif universalisant naît un Entre ces deux lectures radicalement opposées, mais à l’évidence situées, quel regard porter sur l’engagement chinois en Afrique? Au-delà de la diabolisation a priori et de l’enthousiasme béat, quels sont les enjeux réels et les implications concrètes de la présence croissante en Afrique de la Chine? Celle-ci représente-t-elle une menace ou une opportunité? Un frein ou un instrument de développement? Par-delà un débat international structuré par d’évidents tropismes (pro-occidentaux d’un côté, tiers-mondistes de l’autre), quels sont surtout les défis que pose cette percée chinoise sur le terrain aux populations africaines, et quel(s) regard(s) portent-elles sur cet engagement? Avant d’oser un début de réponse à ces questions, il importe de placer la relation africaine dans un cadre d’analyse historique plus large, ceci afin de mieux saisir la nature, les ressorts, les enjeux et la portée de l’engagement chinois en Afrique.
Chérif Abdedaïm |
Une présence controversée À en croire certains éditorialistes occidentaux, la Chine serait littéralement en train de dévorer et d’inféoder l’Afrique. Galvanisée par sa formidable croissance économique et mue par sa quête éperdue de matières premières, la recherche de nouveaux débouchés et son désir d’accroître sa sphère d’influence, la Chine ferait primer la seule poursuite de ses intérêts sur toute autre considération. Chérif Abdedaïm |
Ressorts et essor d’un engagement «La Chine s’est installée en Afrique et compte bien y rester… Du Caire à Cape Town, des îles de l’Océan indien au golfe de Guinée, traversant les savanes et les montagnes, un vent nouveau venu d’Orient souffle sur l’Afrique.» La citation aurait pu être extraite d’un article de presse commentant la récente ruée chinoise sur l’Afrique. Pourtant, elle est tirée de l’ouvrage East Wind over Africa: Red China’s African Offensive rédigé en 1965 par John Colley, lequel mettait déjà en garde contre l’expansion tentaculaire de la Chine communiste en Afrique! (cité par Large, 2008). C’est dire combien l’intérêt de la Chine pour l’Afrique n’est guère une nouveauté, pas plus que les réactions suscitées en Occident par une telle présence, mélange d’inquiétudes, de fantasmes et d’enthousiasmes. «Pour qui suit les relations entre la Chine et l’Afrique sur la longue durée, À l’évidence, les ressorts de cette première poussée chinoise en Afrique relevaient alors plus de considérations idéologiques que d’intérêts économiques bien compris. La logique de l’aide directe l’emportait sur la logique commerciale. L’idéologie précédait l’entreprise.
Chérif Abdedaïm |
Une logique économique Le retour spectaculaire de la Chine sur le continent à compter des années 1990, après une relative éclipse, est intimement lié à la rapide conversion et extraversion de l’économie chinoise et à la mutation de son tissu productif suite aux réformes entamées par Deng Xiaoping fin 1978. Cette nouvelle période se caractérisera par Face au caractère indigeste des vieilles recettes servies à l’Afrique par les bailleurs de fonds traditionnels et à leur incapacité à répondre aux défis du développement, de plus en plus de dirigeants se tournent vers la Chine, à l’instar du président éthiopien MelesZelawi qui, suite à la tournée africaine de Hu Jintao début 2007, exprimait dans un entretien un sentiment d’ores et déjà assez largement partagé sur le continent vis-à-vis de la Chine, lequel se double généralement d’une critique acerbe des stratégies occidentales: «Je pense que les Occidentaux auraient tort de croire qu’il leur suffit d’acheter la bonne gouvernance en Afrique… Ce que la Chine a réalisé taille en pièces cette illusion. Elle (la Chine) ne met nullement en danger les réformes de bonne gouvernance et la démocratisation en Afrique. Car seuls ceux qui(comme la Chine) ont privilégié une croissance endogène avaient des chances de réussir» (Financial Times, 5 avril 2007). La crise financière de septembre 2008 va par la suite achever de discréditer le modèle néolibéral aux yeux de nombreux Africains, tout en renforçant dans le même temps la légitimité des stratégies de développement de la Chine et son approche par rapport à l’Afrique (Rebol, 2010). Ne pas prendre en compte cette évolution du Chérif Abdedaïm |
Une autre vision de la coopération :Si la dimension économique a pris le dessus sur la dimension idéologique dans la relation sino-africaine, la logique de coopération et les modalités de l’aide chinoise à l’Afrique n’en témoignent pas moins d’une remarquable continuité sur le plan des principes et du discours (Chaponnière, 2008). Le plus souvent, cette aide est fournie via des packages deals, sorte de contrats de troc négociés d’État à État combinant investissements publics, semi-publics et privés, aides directes et dons, prêts concessionnels ou non, appuis techniques ou financiers, soutien aux entreprises chinoises et africaines, voire coopération de type militaire ou culturel. Dans les pays africains riches en ressources naturelles, le mode opératoire de ce type d’accord est relativement uniforme, si bien qu’il est devenu fréquent de parler de «modèle angolais» pour caractériser cette relation.
Chérif Abdedaïm |