Par Chérif Abdedaïm
Seconde édition de ce roman de feu Saddam Hussein, qui vient de paraître le 21 juin dernier, aux éditions Encre d’Orient (232 pages, 21 euros).
Un ouvrage dont la traduction a été dirigée par le journaliste écrivain Gilles Munier qui, dans sa préface de l’édition française (puisque le livre a été traduit en une douzaine de langues), nous raconte comment il a découvert le roman, fin 2000 à Baghdad. En 2002, il a décidé de le faire traduire en français avec l’accord du ministre irakien de la culture.
Le phénix qui renaît de ses cendres
Dans la préface de l’ouvrage, Gilles Munier revient sur fait remarquable qui semble être à l’origine de la naissance de ce roman. « Le 12 février 2000, le président Saddam Hussein a reçu des romanciers et des nouvellistes irakiens. Au cours de l’audience, il leur a déclaré « Il vous faudra du souffle pour offrir à vos lecteurs un mélange d’informations inédites sur l’histoire, la sociologie et la psychologie. Ce que vous écrirez devra concerner aussi bien les femmes que les hommes, les vieillards, les jeunes, les malades aux divers stades de leur maladie…Il vous faudra décrire le combattant revenant du front en permission, ou y retournant, et dépeindre ses sentiments… »
Suite à cette rencontre « une éminente personnalité irakienne a écrit ce roman et demandé à son éditeur que l’œuvre demeure anonyme. » La seule signature de l’ouvrage est la mention : « par son auteur ». Situation énigmatique, donc, et qui n’a pas empêché la CIA et le Mossad de s’en procurer des exemplaires afin d’élaborer un nouveau profil psychologique de Saddam. En dépit de cette signature anonyme- « par son auteur »- ces services ont vite reconnu le vrai auteur du livre, et ce, de par les enjeux qu’il présente en matière de vision et de gouvernance. Un véritable testament politique d’un homme qui défiait « l’Empire ».
Le roi et la fille du peuple
L’histoire se déroule au IIème siècle avant J.C. Celle du roi Arab partageant son amour avec Zabiba. Le monarque découvre lors d’une de ses promenades cette femme symbolisant l’Irak. Une fille du peuple exploitée par un mari violent, cupide, au service d’ennemis puissants. Que nous dit le narrateur dans le prologue : « Le monde s’est transformé en cauchemar depuis que le sionisme est devenu une force dominante et arrogante et qu’il a conclu son abominable alliance avec l’Amérique….Non ! Jamais je ne me prosternerai, hormis devant Dieu.
…malheur à tout arabe qui a oublié qu’il est Arabe et que l’on ne doit pas se soumettre qu’à son Créateur. »
Un message assez clair pour confirmer le contenu des conversations du roi qui annoncent les processus révolutionnaires qui embrasent aujourd’hui les pays arabes, les uns après les autres.
Quant à Zabiba, elle doit son prénom à la compensation d’une frustration que sa mère avait subi lorsqu’elle était enceinte. Issue d’une famille pauvre, elle avait éprouvé une forte envie de manger des raisins secs. Leur prix dépassait les moyens de la famille. Elle se dit qu’un seul raisin sec suffirait à la combler. Cela aussi n’était pas possible. Dès la naissance de la fille sa mère l’appela Zabiba.
Le dialogue qui va s’instaurer tout au long de l’ouvrage, entre le roi et la jeune femme, met en lumière la solitude du monarque absolu, entouré de courtisans, d’intrigants et de comploteurs. Avec Zabiba, dont il tombe amoureux, le Roi prend conscience du rôle de la femme dans le développement de la société arabe, de la nécessité d’instaurer un régime démocratique, du pouvoir de la foi.
Du peuple au pouvoir, au débat sur la royauté, le roman nous offre tout au long de ses 232 pages, la représentation d’un système et d’une philosophie de gouvernance considérant tous les facteurs et les acteurs de l’Irak telle qu’elle était souhaitait par Saddam Hussein.
« Ode à l’Irak »
En complément à cette œuvre, Gilles Munier a ajouté quelques documents inédits en annexe et en postface. En premier lieu un extrait de l’interrogatoire/entretien du président Saddam Hussein réalisé par le FBI, le 7 février 2004. Interrogé dans une cellule de sa prison par l’agent spécial du FBI George Piro sur le sens qu’il fallait donner à certains passages de Zabiba et le roi , Saddam Hussein – « détenu de haute valeur n°1 » – a confirmé avoir essayé « en vain », en 1989 et en 2002, « de convaincre ses ‘’collègues’’ de la nécessité du multipartisme car, selon lui, un seul parti n’était pas bon pour l’Irak » et que « le sujet principal » de son livre « n’est pas le roi, mais le peuple ».
En postface, le lecteur retrouvera « Ode à l’Irak », un des derniers poèmes écrits en prison par Saddam Hussein et que nous reprendrons ici en intégralité:
Mon cœur battra
Puisque mes ennemis ne peuvent l’exiler.
Et les menottes n’empêcheront pas
Mes prières d’être entendues.
***
Qui adit que l’Ouest est venu
Avec de bonnes intentions
En terre sainte arabe ?
***
Qui adit que l’eau peut enivrer
L’homme sage ?
Qui a dit l’animal capable de protéger
La virginité d’une femme ?
Qui menotte un lion deviendra chef,
Même si ce n’était qu’un bâtard.
Je vous prédis que les commerçants
Feront disparaître la civilisation et la dignité.
***
Mon corps est encore ferme
Et ne mollira pas,
Le sang de grands nobles
Coule toujours dans mes veines.
***
L’Irak que nous aimons
Est une couronne de cœurs
Et le titre des plus grands poèmes.
Ô Irakien,
Transmets mon respect aux enfants
Qui ont perdu leur jouet
Sous les décombres de l’occupation.
Transmets mon respect aux femmes
Dont les vêtements ont été déchirés
Par la trahison.
Transmets mon respect au résistant
Qui porte l’habit de la fierté
Et l’esprit du martyre.
Ô Irak,
Transmets mon respect
A chaque pouce de notre terre qui survit.
Pour rappel, après « Zabiba et le Roi », Saddam Hussein a publié « La forteresse imprenable », « Des hommes, une ville ». Un quatrième ouvrage- « Hors de ma vue, démons ! -» venait d’être imprimé lorsque l’invasion de l’Irak s’est produite.
En prison, Saddam Hussein a écrit un cinquième roman dont le manuscrit, d’abord confisqué, aurait été remis à sa famille, ainsi que plusieurs poèmes. Certains, sortis clandestinement de prison par ses avocats, on été publiés dans les médias arabes ou anglo-saxons. Ode à l’Irak est paru dans la presse américaine début février 2006 (nous dit Gilles Munier.
Concernant Zabiba et le Roi, l’ouvrage a mis en scène au théâtre à Baghdad fin 2002, a été parodié en 2012 au cinéma par Sacha Baron Cohen dans son dernier film le «Dictateur ». Un film qui a été une source d’exhumation du substrat sioniste vis-à-vis des arabes et qui s’est efforcé d’amplifié un message aux ’antipodee de celui véhiculé par l’ouvrage. « Le dictateur » raconte « les aventures héroïques d’un dictateur qui a risqué sa vie pour s’assurer que la démocratie n’arrivera jamais dans un pays si amoureusement opprimé », c’est-à-dire l’inverse du message véhiculé par l’ouvrage.
Dans sa critique du film « The Dictator » le philosophe Gilad Atzmon a si bien mis les barres sur les « T » de Baron Cohen. « Quand Baron Cohen ridiculise les dictateurs arabes qui cherchent obsessionnellement des armes de destruction massives et des armes nucléaires, il devrait garder à l’esprit que c’est en fait son état juif adoré qui a, depuis 1950, poussé la région entière à la course au nucléaire. Que ce sont ses frères et sœurs israéliens qui expriment très souvent leur enthousiasme mortel pour détruire l’Irak et d’autres entités régionales. Quand Baron se moque des dirigeants arabes qui assassinent leurs opposants, tuent des enfants, des femmes et des vieux, une fois encore il projette les symptômes israéliens car c’est en fait l’état juif qui s’engage trop souvent dans des assassinats de masses systématique et des crimes de guerre d’une échelle colossale. Quelqu’un devrait lui rappeler que les photos de phosphore blanc versé sur les abris de l’ONU ont été prises dans la bande de Gaza et non pas dans le Bagdad de Saddam, Homs (Syrie) ou l’imaginaire Wadiva. Quand Cohen présente les leaders arabes comme des violeurs sauvages, il devrait se rappeler que Moshe Katzav qui était jusqu’à peu le Président de l’état juif est maintenant derrière les barreaux après avoir été condamné pour viol. Ce n’est donc pas une coïncidence quand Cohen tente de créer des liens avec son Dictateur Aladeen, celui-ci lui parle dans sa langue maternelle : l’hébreu.
Enfin, un livre à lire comme un conte des « Mille et une nuits », et qui, selon Gilles Munier sera bientôt mis en vente en Algérie. Comme le souhaitait Saddam Hussein, les droits d’auteur de cet ouvrage seront versés au Croissant rouge, au profit des enfants victimes des guerres du Golfe.
Chérif Abdedaïm